Quand un Rothschild s'achète Libération
Le riche banquier Edouard de Rothschild a décidé de mettre 20 millions d'euros dans le journal Libération, pour racheter 37% des actions du quotidien et devenir son principal actionnaire.
La prise de contrôle, par ce rejeton de la haute banque, d'un journal né après mai 1968 et qui fit, il y a bien longtemps il est vrai, figure d'anticonformiste, est présentée comme surprenante. Pourtant, depuis longtemps, Libération était lié aux grands groupes capitalistes. Antoine Riboud, Gilbert Trigano, Jérôme Seydoux se sont côtoyés ou succédé parmi ses actionnaires.
C'est d'ailleurs le lot de toute la grande presse. L'avionneur Dassault se trouve désormais à la tête de 70 titres dont Le Figaro, L'Express, La Voix du Nord ou Le Progrès. Le fabriquant de missiles Lagardère est présent dans Le Journal du Dimanche, Nice Matin, La Provence, et a même aidé L'Humanité à surmonter ses difficultés financières. Bernard Arnault du groupe de produits de luxe LVMH a mis la main sur La Tribune, et François Pinault, patron du groupe Printemps-la Redoute, sur Le Point. Enfin, le groupe « Publicis » contrôle 49% de la régie publicitaire du Monde et a souscrit en 2002 pour 57 millions d'euros à l'emprunt lancé par le journal. Lagardère, encore lui, est sur les rangs pour en devenir un actionnaire.
Ce n'est pas la seule rentabilité financière qui incite ces gens-là à prendre pied dans la presse. Il y a bien plus à gagner à vendre du matériel de guerre ou des produits de luxe qu'à racheter des titres qui, pour certains, battent sérieusement de l'aile! En fait, c'est aussi un pouvoir d'influence que s'achètent ainsi ces grands patrons. Influence sur l'opinion publique, influence sur les hommes politiques, dispensateurs de marchés publics mais dont la carrière est aussi tributaire des médias, influence dans leurs rivalités entre groupes capitalistes.
Que pèse face à cela l'indépendance des journaux et, par voie de conséquence, des journalistes qui y gagnent leur pitance? Certes, des clauses statutaires la garantissent, mais surtout sur le papier. La plupart de ces propriétaires ne sont pas assez naïfs pour donner des ordres aux rédactions. Il n'y a qu'un Dassault pour le faire ouvertement, disant vouloir que la presse qu'il contrôle lui donne des « informations saines et positives », autrement dit qui ne disent que ce qui plaît à Dassault. Mais l'autocensure est le plus efficace des contrôles. La plupart des journalistes savent ce qu'il faut dire, et surtout ne pas dire, pour rester dans la place, accéder à une rubrique plus prestigieuse, avoir un poste de responsabilité et, qui sait, acquérir une petite notoriété.
En 1973, la souscription pour la sortie de Libération promettait « un organe quotidien entièrement libre ». On en est loin, et pas seulement pour Libé!
Daniel MESCLA